Il est rare de se retenir de poursuivre et achever d’une traite un excellent roman. Comme si chaque chapitre, chaque moment de l’intrigue, chaque étape du parcours de chaque personnage était un joyau rare dont il faut se délecter à part, isolément, le tout prenant forme petit à petit comme un labyrinthe à parcourir avec prudence. C’est bien ce que nous propose Le Livre Des Portes, de Gareth Brown, premier roman particulièrement prometteur de cet écrivain écossais.
J’ai ainsi pu profiter d’autant de passages et de moments d’une beauté remarquable. Cette histoire s’enroule sur elle même, se développe en spirales narratives, la spirale majeure étant le développement du pouvoir du livre lui-même. Un puissant effet de miroir renvoie à l’activité même dans laquelle le lecteur est plongé : quelle est la magie, quels sont les pouvoirs de cet objet que je tiens entre mes mains, qui m’immerge dans ses constructions imaginaires si crédibles et présentes ?
Aujourd’hui, les divisions classiques des genres littéraires de l’imaginaire conservent elles leur sens ? Cela importe t il qu’un roman soit de la science fiction, de la fantasy, relève du voyage dans le temps ou de la quête d’objets enchantés ? Tout doit-il être explicable ? Un livre est certes, en un sens, un objet technique, fabriqué par l’homme, mais ce n’est pas le fauteuil de la machine à voyager dans le temps. Symétriquement, les livres qui sont protagonistes de ce récit n’ont rien de grimoires magiques et recueils de sorts. En effet, il n’y a pas que ce livre des portes…

Gareth Brown s’inscrit dans ce renouvellement contemporain des littératures de l’imaginaire en fusionnant ses thèmes si connus pour nous délivrer un récit au delà de catégories bien délimitées. Cette portée subversive le rapproche par exemple de Robert Jackson Benett, qui lui aussi fond ensemble les genres traditionnels dans les cycles des Cités Divines ou des Maîtres Enlumineurs. Mais c’est dans notre monde que s’enracine Gareth Brown, depuis notre quotidien qu’il construit cette histoire inclassable.
Il s’appuie ainsi sur des personnages réalistes, attachants, qui mènent une vie bien ordinaire. Il prend le temps de donner une épaisseur réelle à ses personnages. C’est à partir de la quotidienneté d’une jeune libraire, Cassie, et de son amie Izzie que s’ouvrent ces portes merveilleuses. Si un livre était réellement une porte vers… ailleurs ? Pourquoi passer autant de temps immergé dans des récits imaginaires s’ils ne nous ouvrent pas des portes pas simplement fictives ? Qui est au juste ce vieux monsieur si gentil qui vient lire tous les jours dans la librairie ?
Nous ne serons pourtant pas emportés vers des lointains merveilleux ou des contrées imaginaires, tout le roman se centre sur New York ainsi que dans un ancien château écossais où se trouve une bibliothèque, et donc un bibliothécaire… Le livre des portes n’est pas un roman d’aventures ou de fantasy.
Ce roman ne sombre pas non plus dans les spéculations sur les possibilités ou paradoxes du voyage dans le temps, même si la question est évoquée et fermement résolue. C’est ainsi qu’il s’empare d’un thème classique de la science fiction qu’il dépasse clairement. Si en un sens, tout finit par être expliqué, qu’il ne demeure pas de mystère, de magie ou de surnaturel, est-ce pourtant bien le cas ? Les boucles dans lesquelles nous sommes emportés avec les protagonistes du récit revêtent une profondeur métaphysique qui enracinent l’être de tous ces livres magiques dans la psychologie, l’être et les émotions humaines d’une manière très surprenante. Mais enfin, d’où (et de quand) proviennent ces livres ?
Cette profondeur psychologique structure tout le livre et l’emmène au delà des genres classiques de la fiction, c’est un meta-livre pour les amateurs de livres… Attention aux portes qu’il ouvrira lors de votre lecture !
Yves Potin, Octobre 2025